Le faux journal


o
A
Azardt

El Cuchillo avait peur. Le couloir derrière lui respirait ! Un son à peine audible, une expiration quasi continue glaçait la nuque de Cuchillo. Un faible bruit métallique indiquait que Machete se rapprochait de lui.
Du coin de l'oeil, Cuchillo ouvrit la porte à sa gauche. Il n'entra pas dans la pièce vide. Il aurait voulu être immédiatement à l'extérieur du bâtiment, être déjà en train de courir, de fuir le Palacio. Marcia était morte de la même façon, avec le même bruit métallique. Mais Marcia était jeune. Marcia était belle. Il la revoyait souvent en été, accoudée à la fenêtre avec le même sourire.
Cuchillo se retourna : le bruit métallique s'était arrêté. Le couloir blanc était vide. Ce qui se passa ensuite est consigné dans le "Livre d'Anath", écrit par Aüser à l'automne 1928 d'après un journal retrouvé au fond d'une cave de la région de São Polo.

L'Apparition

Le jours s'était levé depuis quelques minutes quand Ashmith arriva à l'angle entre la rue Yukon et l'avenue A. Il jeta un coup d'oeil discret de derrière un bâtiment en pierre noire. Il respira et s'assit. Au carrefour, seulement cinq zombies divaguaient autour d'un camion en flammes. Ashmith sentait une odeur de chair brûlée qui était probablement ce qui attirait les cinq goules errantes. Sa courte expérience de ces créatures lui avait déjà permit de constater que l'odorat faisait partie des moyens de repérer leur nourriture. Il regarda le ciel noir pendant quelques secondes puis traversa calmement la rue dans le dos des zombies. Après avoir dépassé quelques bâtiments, il se retrouva devant l'Art Hotel où il avait vu Anna l'avant-veille.

- La situation ne sera bientôt plus gérable, il faut fuir Ash.
- Et quitter la ville ? Sans ressources on ne survivra pas. Et l'épidémie avance plus vite que nous.
- Ash, il faut chercher ailleurs.
- Pas encore, on doit continuer ici, s'organiser.
- Ici c'est trop tard. Quelqu'un doit survivre, Ash. Quelqu'un doit survivre...

L'hôtel semblait vide. La porte entrouverte de l'ascenseur montrait la moitié inférieure de la cage, couverte de tâches sombres. Ashmith monta sur le toit de l'hôtel par l'escalier encombré d'objets divers. Curieusement il n'avait croisé que très peu de cadavres depuis que l'horreur s'était déclenchée. Il fit une courte pause pour reprendre son souffle et essayer de clarifier ses idées.
L'atmosphère sans vent puait la charogne. Les rues étaient vides et sans mouvements. Anna n'était pas au rendez-vous, Anna n'était plus au rendez-vous. Il redescendit jusqu'à l'étage de la chambre qu'elle avait occupée. Le désordre baroque de l'escalier continuait dans le couloir. La porte 116 était entrouverte. Le lit défait, la table renversée se reflétaient dans les nombreux éclats du miroir brisé. L'inquiétude de Ash se fit plus forte. Il chercha un indice, un signe qu'Anna lui aurait laissé, mais il ne trouva que deux livres usés, les "Paroles" de Prévert, et "L'Apparition" de 1928. Ashmith se pencha vers le livre du poète Aüser. Les pages jaunies lui rappelèrent de nombreux souvenirs.

Soudain le téléphone sonna. La sonnerie antique de l'appareil transperça Ashmith, qui laissa tomber le livre. Le réseau téléphonique était le seul à être encore partiellement fonctionnel. Il décrocha l'appareil : Anna ? Anna répondit avec une voix presque normale. Elle était quelques rues plus loin. Elle avait retrouvé Frank, El Viejo. "La clé est Frank..." Les derniers mots du poème inachevé d'Aüser !

Aüser, poète de 1930

Je n'ai jamais connu Aüser, sinon par ses écrits. Cet homme fantasque s'est perdu dans une forêt frontalière d'Europe de l'est au début des années cinquante.

Dr. Orloff contre Roinita Banana

Le Dr. Orloff poussa un cri d'épouvante. Ce qu'il était sur le point de faire le terrifiait, mais il ne pouvait pas s'empêcher de commettre le geste fatidique. Dans un spasme de terreur, il abaissa le levier de contrôle et libéra le monstre aveugle et sanguinaire.
La jeune victime était sans voix, hypnotisée par la masse brutale qui avançait maladroitement vers elle. Recroquevillé dans un recoin de la pièce, l'assistant autiste Morpho gémissait de plaisir et d'horreur.

Pendant ce temps, notre héro sirotait un vichy menthe à la terrasse du Carlton. Il demanda le journal et découvrit avec étonnement que Le Dr.Orlox a enlevé la célèbre artiste Héléna Klarx.
Après s'être dit que ces journalistes ne s'y retrouveront décidément jamais - Orlox ? Orloff ? Orlof ? - il regagna sa chambre et enfila son costume.

La clé est Frank

L'homme se tourne et ne voit personne. La clé est Frank, il le sait depuis des années, depuis le jour où il s'est perdu dans la forêt entourant la maison de son enfance. La clé est Frank.

Memphis Blues

To be stuck inside of Mobile
With the Memphis blues again

On l'appelait la ville de Machine. Dès mon arrivée j'avais senti une atmosphère pesante, comme si le complexe était mis sous pression par le ciel noir de Titan.

La nuit je faisais souvent le même rêve, celui ou je suis à Memphis, derrière les stores vénitiens de la petite bicoque des studios Sun. Un sosie d'Elvis me regarde sans parler.
Le studio existe encore aujourd'hui, entouré d'immeubles modernes sous le dôme de Memphis.

J'avais été embauché comme bibliothécaire. Comme la plupart des colons, les habitants de Titan avaient une certaine nostalgie du monde originel, et les objets du passé y étaient omniprésents.
De plus, si toutes les documentations techniques et documents officiels étaient numériques depuis longtemps, les historiens et quelques autres professions reposant en majorité sur l'écrit restaient attachés au confort de lecture apporté par le papier, et ce malgré le luxe que représentait le volume occupé par les livres.

Le zombie de l'espace

Ashmith était perplexe. Il était seul dans le réfectoire, en pleine heure de pointe habituelle du déjeuner.

Les cobols

- Attention derrière toi, un cobol !
- Ah oui, un cobol.
Mais c'était trop tard. Le cobol s'empara de la main de Bob et l'aspira entièrement par le pouce. Rob en fut extrêmement horrifié et s'enfuit par la porte de la cuisine. Dans l'allée, il rencontra Ronda.
- Salut Rob, je viens voir Bob.
- Non Ronda, n'y va pas ! Il y a un cobol dans la cuisine !
Ronda n'en crut pas ses oreilles.
- Un cobol ? Mais je croyais qu'ils avaient tous disparu !
Rob prit alors la main de Ronda et l'aspira entièrement par le pouce. Il était lui aussi devenu un cobol !

numero (3)

L'homme se réveille et frotte légèrement sa tête jaune et parfaitement sphérique. Il ouvre les draps sur un costume impeccable et se lève. Il passe dans la salle de bains, passe une main humide sur sa tête jaune et parfaitement sphérique, et l'essuie rapidement avec une serviette grise.
Pendant quelques minutes, il observe les dirigeables à sa fenêtre. Puis il sort de son appartement et descend l'escalier. Dans l'entrée de son immeuble, il salue une femme à la tête jaune et parfaitement sphérique. Elle lui répond et emprunte l'escalier.
Il sort dans la rue et se mêle à la foule. Tous ont la tête jaune et parfaitement sphérique.

Les colonies (1)

Gauvin était bientôt à cour de carburant. Il se dirigeait vers Port, la ville couverte la plus proche. Sa femme était en train d'agoniser dans la partie arrière du véhicule. Il jetait fréquemment un coup d'œil sur l'écran de contrôle pour voir son visage. Elle était secouée par de légers spasmes et les nombreux cahots de la route en terre. Gauvin s'accrochait au volant et concentrait sa volonté pour ne penser à rien.
Parfois, une forme couverte de haillons sortait d'un amas rocheux et faisait des gestes lents. Il les percevait à peine, comme des êtres sans réalité. Il voyait le dôme depuis plus d'une heure, mais celui-ci se rapprochait encore trop lentement. Le soleil brûlant donnait au paysage pierreux un aspect rugueux, projetant de nombreuses ombres noires et tranchées sur la terre jaune, comme un œil mort dans le bleu sombre d'un ciel sans nuage.

Les portes des villes couvertes étaient petites et nombreuses. Le dôme de Port en comptait plus d'une centaine. Toutes étaient gardées, mais quelques-unes, donnant souvent sur les quartiers les plus pauvres, étaient moins strictement surveillées.
Le regard fixé sur la route, Gauvin relança son appel.
- Claude ? Réponds bordel !
- Claude.
Claude avait un visage ridé, des tempes fournies et une paire de lunettes, le tout dans l'ombre et à peine éclairé par un faible scintillement.
- Donne moi l'entrée non surveillée la plus proche du secteur 4. J'ai moins de vingt minutes.
Le visage de Claude disparut aussitôt.

Le véhicule de Gauvin, poussé au maximum, soulevait une fine poussière sur l'une des nombreuses routes en terre menant à la ville.
Le visage de Claude réapparut :
- Porte 138 dans quinze minutes.
Gauvin changea légèrement de cap, s'écartant progressivement de la route.

numero (2)

L'homme ferme la porte et se dirige vers l'escalier. Après avoir descendu les marches sur deux étages, il se rend compte qu'il n'a pas les clés dans ses poches. Il regarde vers le haut et se demande s'il doit remonter. Au même moment, une porte s'entrouvre sur le palier au dessous. Il descend les marches restantes et s'approche de la porte. Personne n'en sort. Il ne trouve ni nom ni sonnette.
Il pousse la porte de la main et entre avec précaution. Le couloir est sombre et donne sur une pièce à trois fenêtres. Au milieu de la pièce, il aperçoit un fauteuil sur un tapis circulaire. Le parquet grince et il sent les lattes se déformer légèrement sous ses pieds. Un livre est posé sur un petit guéridon à portée de main du fauteuil.
L'homme retourne dans l'entrée et ouvre la porte située sur le mur de gauche. Elle donne sur une pièce vide. Au fond, une cheminée est surmontée par un grand miroir. Une boîte à chaussures fermée traîne sur le plancher. Une grande fenêtre éclaire l'avant de la pièce.
Il ouvre ensuite la porte située sur le mur de droite. C'est un placard, un balai est suspendu en plein milieu.
L'homme ressort de l'appartement et referme la porte derrière lui. Au même moment, il voit une paire de jambe remonter vers l'étage supérieur. Il a le temps de reconnaître le pantalon et les chaussures. Ce sont les mêmes que ceux qu'il porte. L'homme se dirige vers l'escalier et commence à descendre. Pendant sa descente, il regarde vers le haut et voit une main monter sur la rampe d'escalier. La main disparaît à son étage.
L'homme sort de l'immeuble et se retourne dans la rue. Sa fenêtre s'allume pendant qu'il marche sous les réverbères.



Récent

numero (1)

L'homme était en avance au rendez-vous. Il fumait des cigarettes dans la pénombre et chaque fois qu'il en allumait une, sa silhouette scintillait brièvement sur le plafond. La porte était restée entrouverte.

L'île d'Orande (10 - L'Association)

L'homme marche d'un pas décidé. Son grand manteau sombre et ouvert flotte légèrement derrière lui. Il est suivi par un homme maigre et discret. Ils ont les cheveux courts et les yeux noirs. L'homme au manteau tourne dans une impasse et ouvre une petite porte sur la gauche. Il entre dans un petit couloir sombre terminé par une porte fermée. Un escalier commence sur la droite. Sous l'escalier, un petit homme est assis à une table. Il va saisir une cloche mais l'homme au manteau le prend par le col et le jette dehors. Il monte ensuite l'escalier et fait voler une porte au fond du couloir à gauche. Il sort un couteau et se dirige vers l'homme important qui lui hurle un mélange d'ordres et d'insultes. Des hommes assis se lèvent et se précipitent vers l'intrus mais son couteau est déjà sous la gorge de l'homme important.

Les hommes du Fils commencent à encercler l'intrus, se déplaçant par gestes lents. L'homme aux yeux noirs se tourne vers la porte, tenant toujours le Fils à sa merci. Au même moment, l'homme maigre et discret qui l'accompagnait arrive, sortant deux pistolets chargés de son manteau. Avec un faible bruit de déchirement, l'homme aux yeux noirs plante sa lame en haut de la gorge de sa victime, la pointe dirigée vers le haut. Les autres se ruent alors sur lui mais deux coups de feux presque simultanés font tomber les deux plus rapides, laissant aux intrus la fraction de seconde nécessaire pour sortir de la pièce. Le maigre prend l'escalier tandis que le grand ouvre la fenêtre au fond du couloir et saute dans la rue.

L'Oncle est à son bureau, un papier dans les mains. Il a encore du mal à prendre conscience des mots qu'il vient de lire. Le Fils est mort ce matin.

*

Gouzi gouzi



Archives

L'île d'Orande (9 - Oneiros)

Le petit local est situé au croisement de deux rues passantes. De larges fenêtres à croisillons permettent de voir le carrefour et la petite porte d'entrée coupe l'angle et donne directement sur la rue. Il fait nuit et seul quelques fenêtres éclairent les pavés. Une enseigne en bois surmontée d'un cheval indique : " Imprimerie Oneiros ".
A l'intérieur, de nombreux feuillets sèchent sur des fils tendus entre les presses et les murs. Sur les côtés, des bacs en bois contiennent toutes sortes de jeux caractères. Dans un coin, un tabouret réglable et une table encombrée de papiers, d'une lampe allumée, et d'objets inutiles servent de bureau. Un homme jeune et vif y écrit rapidement quelques lignes et se lève. Il va vers une presse avec son article et commence à mettre en place quelques caractères. Après quelques minutes, la porte s'ouvre et une vieille femme entre. Elle est chargée de vêtements et ses mouvements sont lents. L'homme va à sa rencontre. La femme lui tend quelques feuilles de papiers.
- On m'a donné ça pour vous. Vous devez les publier.
- Qui vous les a donné ?
La vieille femme se retourne et sort.
- Qui vous les a donné ?
La femme ne l'écoute pas et part. Il jette un coup d'œil sur la première page. Le texte parle du gouverneur. L'homme le range dans un tiroir et se remet au travail. Il se dit que ses problèmes sont loin de s'arranger.

A la lumière de quelques bougies, dans une vieille maison située à quelques lieues du village, au bout d'un promontoire de l'île, un homme boit. Il pense qu'il quittera l'île bientôt. Son action est sur le point d'aboutir et rester peut devenir dangereux. D'autant plus que l'île est maintenant trop simple pour lui, il en connaît trop. Et depuis sa dernière découverte, il sait que le peu de charme qu'il y trouve encore va bientôt disparaître. Il regarde la lune par la fenêtre.

*

Blue night in Akasaka.

L'île d'Orande (8 - L'Association)

L'homme marche d'un pas décidé. Son grand manteau sombre et ouvert flotte légèrement derrière lui. Il est suivi par un homme maigre et discret. Ils ont les cheveux courts et les yeux noirs. L'homme au manteau tourne dans une impasse et ouvre une petite porte sur la gauche. Il entre dans un petit couloir sombre terminé par une porte fermée. Un escalier commence sur la droite. Sous l'escalier, un petit homme est assis à une table. Il va saisir une cloche mais l'homme au manteau le prend par le col et le jette dehors. Il monte ensuite l'escalier et fait voler une porte au fond du couloir à gauche. Il sort un couteau et se dirige vers l'homme important qui lui hurle un mélange d'ordres et d'insultes. Des hommes assis se lèvent et se précipitent vers l'intrus mais son couteau est déjà sous la gorge de l'homme important.

L'île d'Orande (6 - Un objet perdu)

Le lendemain, Luca se réveille le premier. Il est reposé mais se souvient de s'être réveillé plusieurs fois. Le ciel est blanc, l'air est frais et humide. Il sent le plancher froid sous ses pieds. La carafe d'eau et le verre sont toujours sur la table. Il s'assoit et boit lentement. Il se retourne vers le grand lit. La femme dort toujours, cantonnée près du bord. Il sort sur le balcon.
Un léger vent froid traverse sa chemise. Il regarde l'appartement en contrebas. Quelques objets et vêtements traînent sur les pavés et dans l'escalier. Il repense à la journée de la veille.

Il avait suivi les deux hommes tout l'après-midi. Ils avaient traîné dans une taverne sale pendant quelques heures, buvant des bières et fumant en parlant de leurs collègues et du patron.
A un moment, l'homme qui parlait le plus a sorti un objet entouré d'un chiffon de sa poche.
- C'est ça qu'on cherche depuis cinq ans.
- Montre, sort le.
- Tais toi. Si je sors ce truc du chiffon on aura la taverne sur le dos, plus la flicaille en moins de deux. Un paysan l'a trouvé par hasard. L'idiot l'a perdu au jeu contre un soldat à moitié fou qui s'en est vanté un peu trop fort et cherchait à le vendre. On l'a attrapé et un peu secoué mais il est mort avant de parler. Depuis ça fait trois mois qu'on cherche cette breloque. Je l'ai trouvée ce matin. Il l'avait confiée à une guérisseuse sénile du faubourg.

Sorti de ses pensées par le froid, Luca rentre en se frottant les bras. Il s'assoit au bureau et regarde au hasard les objets en désordre. Parmi les diverses feuilles et autres outils d'écriture, il remarque dans un coin une boîte en bois incrusté de la taille d'un livre. Elle est plus lourde que ce qu'il avait imaginé. Il fait pivoter le couvercle. Elle est pleine de feuilles de papier couvertes d'une fine écriture au crayon. Il repose la boîte et parcourt la pièce du regard. Puis il se lève, prend sa veste posée sur une chaise, et il sort.
Au bas de l'escalier, il se dirige vers la grande porte. Elle est fermée. Sur un des murs blancs, il trouve une grosse clé rouillée pendue à un clou par une ficelle fine et usée. Il ouvre un battant et se retrouve sur la place. Il se dirige vers l'escalier en bois et dépasse un coffre éventré et quelques vêtements. Un goéland s'affaire tranquillement autour d'une corbeille de fruits renversée. Pendant qu'il monte vers l'appartement de Maria, il se tourne vers l'entrée de l'impasse. Elle est déserte. Arrivé sur la coursive du premier étage, il s'arrête un bref instant devant la porte ouverte et entre.
L'armoire et les meubles sont vides et renversés, le sol est jonché d'objets et autres vêtements. Il va directement vers la cheminée et trouve un tisonnier sous une robe. Une dernière bûche et quelques braises se consument lentement. Il fouille rapidement les cendres et en dégage un objet noirci. Il attend quelques secondes que l'objet se refroidisse. Puis il sort un chiffon de sa ceinture et en enveloppe la plaque noire et dense, qu'il glisse ensuite dans sa poche. Au même moment, il entend un rire derrière lui.
- Jeune homme, quelle énergie ! Tu as fait ça tout seul où on t'a aidé ?
Un barbu blond et un géant brun se tiennent devant la porte.

- Nous devons voir Maria. Dis lui que Paul a besoin de son aide.
Luca répond tranquillement :
- Je ne sais pas de qui vous parlez. J'ai juste vu ces hommes saccager cet appartement et je suis venu profiter du feu et des quelques fruits.
Paul se baisse et le regarde dans les yeux. Puis il sourit.
- Dis lui qu'on l'attend à la vieille auberge.

*

Peut-on être plus cryptique ?
Oui : la passion étrange.

*

Ici l'ombre du vendredi
Et je dis oui
Plutôt deux fois qu'une et réciproquement.

L'île d'Orande (7 - Un objet perdu)

Elle marchait dans un endroit bizarre, mais qui lui paraissait extrêmement familier, comme si elle en faisait partie, comme si elle en avait toujours fait partie. Elle marcha longtemps dans des dunes de sable. Puis un court instant dans une jungle aux couleurs inhabituelles, sachant à tout moment où elle devait diriger ses pas. Ecartant un rideau de feuilles épaisses, elle déboucha un marécage sombre.
Elle se dirigeait vers une lumière faible aperçue entre les lianes filandreuses du bayou. Elle arriva dans une petite clairière fermée par le feuillage dense d'un grand arbre au tronc noir. Le sol était recouvert de fines nappes de brouillard. La lumière venait d'une fenêtre à clairvoies située sur le flanc légèrement penché d'un magnifique bateau à aubes échoué dans la terre, au pied du grand arbre. Traversant le fin lac de brume, elle monta sur le pont par le côté proche du sol en s'accrochant à une des fines colonnes sculptées qui entouraient la coursive principale et la plateforme arrière. Elle entra dans le navire par une porte ouverte à deux battants.
Après quelques temps, ses yeux s'habituèrent à l'obscurité et elle se dirigea vers l'endroit où devait se situer la cabine correspondant à la fenêtre. Après deux petites bifurcations à angle droit, elle aperçut de la lumière sous le seuil d'une porte. Elle tourna la poignée et entra.
La cabine était faiblement éclairée. Un vieil homme était assis à un bureau. Il se tourna et lui parla avec un air aimable.
- Je vous attendais.
Elle répondit en sachant exactement ce qu'elle devait dire.
- Oui, j'ai pu arriver à l'heure. Nous sommes dans un rêve qui va bientôt finir.
L'homme enleva ses lunettes.
- C'est exact. Je n'ai jamais aimé les fins de rêve. Fais-je partie de votre rêve ? Ou faites-vous partie du mien ? A la fin du rêve l'un de nous deux va se réveiller, et l'autre disparaîtra, il n'existera plus que dans le souvenir diffus et éphémère du dormeur.
L'homme ouvrit un placard et sortit deux verres et une bouteille longue et fine. Il continua à parler en servant les verres. Elle a alors commencé à comprendre l'impression de familiarité étrange qui l'accompagnait depuis le début. Elle faisait partie du rêve, elle était un rêve. Et cet homme aimable était la personne en train de rêver.
Elle fut alors prise d'une angoisse sourde. Elle prit un verre et le but lentement. L'homme continuait à lui parler avec douceur. Elle ne voulait pas qu'il s'arrête de parler et ils ont discuté pendant des heures, puis des jours. Elle sentait que quand la discussion s'arrêterait, l'homme se réveillerait. Et qu'alors, avec tout le contenu du rêve, le verre, la bouteille, la cabine, le navire magnifique, l'arbre, le brouillard, le marais, la jungle et le désert autour, elle disparaîtrait dans les quelques secondes qu'il faut pour oublier un rêve.
Au bout de quelques semaines, ils avaient parlé de tout, buvant sans cesse l'alcool inépuisable de la bouteille étrange. L'homme se tourna alors vers elle et lui dit en souriant :
- Je n'ai plus rien à te dire.
Son cœur s'arrêta quelques instants. Tout disparut autour d'elle. Elle ne respirait plus. Après quelques secondes, elle sentis qu'elle était au point de non retour. Elle s'est alors réveillée avec une immense inspiration de terreur. L'homme s'était trompé, il était le rêve et elle était la rêveuse. Luca était sur le balcon. Elle se rendormit en frissonnant.

L'île d'Orande (5 - Paul et Cheyn)

Quelques jours plus tard, Paul et Cheyn sont assis à une table, dans un coin de taverne sale et mal éclairée. Il est environ une heure du matin.
Un vieux matelot joue du violon et une femme brune armée d'un couteau danse entre les tables. Elle est remarquablement fluide. Les hommes qui l'entourent laissent échapper des cris et des commentaires.
Paul sourit en mangeant son omelette.
- Je crois que j'ai une histoire qui va te plaire. Je somnolais à l'ombre d'un banc quand j'ai entendu une voiture s'arrêter. J'ai ouvert un œil sous mon banc et j'ai vu deux paires de jambes d'hommes richement chaussées s'arrêter devant moi et monter sur le marchepied. Deux jambes de laquais ont fermé la portière, le cocher a fouetté ses montures et la calèche est partie. Je me suis précipité pour la voir : c'était une des voitures du gouverneur.
- Tu me parles de choses sans intérêt.
Paul termine son omelette et prends un morceau de pain.
- Encore une fois tu parles sans savoir. Au moment de monter sur le marchepied, l'une des paires de jambes a prononcé un prénom de femme : Cheyna.
Cheyn se tourne violemment vers Paul et frappe un coup assourdissant sur la table. La musique s'arrête une seconde puis reprend. La danseuse tourne son regard vers eux sans interrompre sa danse. Paul sourit.

L'île d'Orande (4 - Luca et Maria)

Luca quitte le balcon pendant que la femme allume une cigarette. Il s'assoit sur le fauteuil sombre et sort la petite boîte métallique trouvée dans le souterrain. Elle est finement ouvragée de lignes fines et profondes formant des motifs abstraits. Il n'a aucun désir de l'ouvrir, ni de chercher à savoir ce qu'elle contient. Il la regarde et machinalement suit quelques lignes avec les doigts. Son esprit est ailleurs, sur un navire marchand.

Pris dans une tempête depuis plusieurs semaines, le navire et les hommes étaient épuisés. Ce jour de calme paraissait irréel. Séchés par le soleil, les hommes bougeaient peu, se contentant de respirer lentement. Pas un n'avait vu arriver le vaisseau qui passait presque à leur niveau. Les deux navires, quasiment à l'arrêt, se croisaient en silence. Les hommes d'équipage de l'autre vaisseau regardaient avec curiosité ces hommes vides et ce navire fatigué.

Luca rouvre les yeux, il est toujours dans la pièce sombre. C'est cet autre navire qui leur a donné des nouvelles de leur destination. C'est dans ce croisement d'une lenteur irréel qu'un homme qui avait servit dans le régiment du Lieutenant Dampierre lui a appris la mort de son père.
Il manipule une dernière fois la petite boîte et la range dans sa poche. Il se rend compte que sans s'en apercevoir il a mémorisé les gravures complexes pendant sa rêverie. La femme rentre. Il la regarde.
- Vous m'avez permis d'échapper aux philistins.
La femme ne dit rien. Elle a l'air songeuse. Il ajoute :
- Je suis désolé pour votre appartement.
La femme semble sourire.
- Ca c'est trouvé comme ça.
- Mais vous, qui êtes vous ? Cet homme en bas, il a eu l'air de vous reconnaître.
La femme s'assoit à la longue table, devant les bougies.
- Oui, il m'a peut-être reconnue. Moi ou ma réputation. Les gens du port m'appellent le cyclope en buvant leur bière. Les gens de l'île m'appellent la femme d'Odin. Et les gens du village m'appellent la putain au bandeau, ou la sorcière du bout de la rue.
Luca la regarde.
- Vous avez bien un nom ?
Elle tourne la tête vers lui avec son demi-sourire.
- Bien sûr. Tu peux m'appeler Maria.
Luca se souvient d'une phrase qu'il a entendue il y a longtemps. Un grand homme élégant, barbu et vêtu d'un chapeau blanc se penche sur une femme étendue devant une porte en bois. Il murmure : "Helen... don't die". Il n'arrive pas à situer ce souvenir diffus.
Elle se lève.
- Tu as faim ?
Elle ouvre un placard dans un coin sombre de la pièce et en sort un morceau de jambon, un couteau et une carafe d'eau.

*

L'homme de la rue se retourne, derrière lui le brouillard.
Et devant un immeuble
une seule fenêtre allumée.
Evidemment tout est faux
Evidemment ils sont beaux
Ils sont l'homme
et la lumière

La force de l'homme

Bientôt tous auront la tête poilue
et le monde se ralliera au cri de sang
le cri de mort du poète.
Bientôt le monde sera sans pitié.

L'île d'Orande (3 - Luca et Maria)

La femme referme la porte derrière eux. Elle se dirige vers un renfoncement d'où part un escalier de pierre en colimaçon. Sur sa droite, Luca aperçoit dans la pénombre une cheminée vide et une petite porte, et sur la gauche une lourde porte à battants en bois verrouillée.
Ils montent en silence, et arrivent au sommet après avoir passé plusieurs portent fermées. La femme ouvre la dernière et ils entrent.
Ils sont directement sous le toit. Sur deux côtés, des fenêtres laissent voir un mince balcon accessible par une fine porte rectangulaire. Après avoir allumé une lampe à pétrole et quelques bougies, la femme sort sur le balcon. Dans la faible lumière, Luca découvre un lourd bureau encombré, des piles de livres dans un coin, un fauteuil sombre, une petite cheminée, une table longue, deux chaises et un grand lit défait. Il sort à son tour.
Le balcon donne une vue de haut sur l'impasse. Quelques nuages passent devant la lune et le ciel étoilé. La femme regarde les ombres s'agiter dans son appartement en contrebas. Elle demande :
- Qui sont ces gens ?
- Des hommes de l'Association.
- L'Association…
La femme se tourne vers lui.
- Et toi ?
- Un fils de soldat. Arrivé il y a deux mois sur un navire marchand.
- Tu as suivis ton père dans cette île perdue ?
Luca regarde vers l'impasse.
- Je l'ai rejoint.
- Et quel rapport avec l'Association ?
- Ils ont tué mon père.

L'île d'Orande (2 - Luca et Maria)

- Dépêche toi !
La femme descend l'escalier, suivie par Luca.
- Aide moi.
Ils soulèvent une grille lourde et plate sous l'escalier en bois. Elle descend. Il la suit et pendant qu'il referme, les yeux au niveau des pavés humides, il voit cinq silhouettes pressées surgir de l'allée. Il descend l'échelle dans le noir et sent une main qui le guide sous terre pendant qu'il entend les bottes des hommes sur l'escalier.
Ils avancent à l'aveugle et voûtés, guidés par les murs rugueux et suintants. Une odeur d'algues et de boue remplace peu à peu les faibles bruits venant de l'extérieur.
Après une ou deux minutes, Luca aperçois de vagues traits de lumière dévoilant un pan de mur sale à quelques dizaines de mètres. Au même moment, les pieds trempés par les nombreuses flaques, il sent un petit objet rectangulaire dans la terre humide. Il le ramasse et essuyant l'eau terreuse, il sent le métal ouvragé sous ses doigts.
La femme le tire par l'épaule et ils accélèrent leur marche en direction de la sortie.
Ils arrivent devant le mur, sous une vieille trappe en bois ajournée. Le sol s'est progressivement asséché et au bout du souterrain les parois de briques sont poussiéreuses. Quelques toiles d'araignées flottent lentement. Des briques manquantes leur permettent de grimper vers la trappe.
Ils arrivent dans une vieille cave où quelques boîtes et vieux livres prennent la poussière sur des étagères. Les restes de barriques éventrées traînent dans un coin. Près du plafond, une petite grille laisse passer la faible lumière de la lune et quelques sons diffus.
La femme sort une clé et ouvre une petite porte arrondie. Pendant qu'il monte les quelques marches du seuil, Luca se retourne vers le vasistas et aperçois des ombres et la lumière orange de l'appartement qu'ils ont quitté quelques minutes plus tôt.

Le ciel bleu

L'animal de compagnie a mis la tête dans le frigo.
Il n'a pas froid, il n'a pas chaud
il a la tête dans le frigo.
L'animal de compagnie a mis la tête dans le frigo.
Et pour lui tout est bleu.
Les yeux bleus
le nez bleu
la langue bleue.

L'île d'Orande (1 - Luca et Maria)

Luca sort en courant de l'auberge et prend la première rue qui s'ouvre sur sa droite. L'ivrogne assis dans la pénombre, sous un porche humide en face de l'auberge voit partir à sa poursuite deux hommes aux vêtements épais qui se séparent devant la rue empruntée par le jeune fuyard. L'un des poursuivants a fait le bon choix et entend de plus en plus nettement les pas rapides de l'adolescent sur les pavés humides. Il débouche alors dans une impasse, face à un mur presque aveugle. Sur sa gauche, une grande façade avec deux petites ouvertures haut placées, et sur sa droite, un escalier fragile qui mène aux deux coursives en bois des premiers et seconds étages d'une vieille demeure de notable mal entretenue. Une femme brune fume en regardant les étoiles, accoudée à la balustrade du premier étage.
L'homme s'arrête et regarde la femme. Il hésite.
- Tu l'as caché où ?
La femme l'ignore pendant quelques secondes, puis lui répond.
- Laisse ce gamin tranquille.
Elle se tourne lentement vers le rebord de fenêtre faiblement éclairée de lumière jaune et orange derrière elle. L'homme se rapproche de l'escalier mais il s'arrête encore lorsqu'il remarque le discret bandeau noir qui cache l'oeil droit de la femme. Elle se tourne alors vers lui avec un pistolet.
- Ce matin j'ai été plutôt occupée. Je ne me souviens plus si j'ai chargé mon arme ou non. Ca te laisse une chance sur deux.
Nerveux, l'homme recule lentement, les poings serrés.
- Ecoute, je vais revenir et on serra plus nombreux. Ce gamin, c'est un voleur. Tu ne pourras rien en tirer.
- Ca te laisse une chance sur deux, répète la femme borgne en pointant le pistolet vers l'homme.
Celui-ci se rapproche du coin de la rue, puis disparaît en jurant. Ses appels s'éloignent rapidement de l'impasse. Elle se tourne alors vers la porte entrouverte :
- Sort de là petit, on ne doit pas rester. Je n'ai pas besoin d'ennuis supplémentaires.


L'icône

Sans tambour ni trompette, l'ivrogne nous regarde de son regard trouble, derrière son manteau voûté. Buvons à sa santé et accrochons son icône.

Sans tambour ni trompette
l'ivrogne vous regarde
de son regard trouble
derrière son manteau voûté.


*

Les hommes tristes sont des cons
Ah bon
Mais moins que les femmes tristes


Méfions nous de l'homme de demain

Sommes nous des mégots
sommes nous des poissons
des putains
qui sommes nous

Nous sommes l'homme extrême
nous sommes l'homme de demain

Sommes nous des mégots
sommes nous des poissons
sommes nous des putains
Nous sommes l'homme de demain


Ode au misanthrope

Toi qui méprise l'argent
et l'amour
que les gens ont pour l'argent
va t'en
va retrouver le sable orange
et respirer la poussière
va discuter sans fin avec ton ami le vent
Pendant que nous resterons avec les gens
et l'argent
et l'amour que les gens ont pour l'argent


La forteresse

Dans le désert de terre rouge
nous chercherons la forteresse

Nous accompagnerons la caravane bleue
puis guidés par les vautours
nous quitterons la route en sable
et nous découvrirons ses grands murs rouges
ses grands murs aveugles

Nous chanterons la joie et la liberté

mais nos appels resteront vains
les lourds battants en bois immobiles

Puis peu à peu
torturés par la soif sous l'oeil sans vie des charognards
nous creverons lentement
au pied des murs de la prison


Le jardin et l'escalier

Dans une fenêtre clouée de planches
une bougie sur une table
l'escalier
et la femme
assise
partagée entre le jaune, l'orange
et l'ombre verte

Et le sang, le sang qui arrive
qui sort du couteau
le couteau du boucher
que le tueur a volé pour trancher
trancher dans le rouge
l'orange
et l'ombre verte

Derrière les feuilles la vision disparaît
C'est terminé
Il reste l'ombre verte
Il reste le sang noir
Il reste l'escalier


Le peuple singe est arrivé

Le peuple singe est arrivé
le tamanoir et le curé
le misogyne et le drogué
le tournesol et l'étranger
le peuple singe est arrivé


Oeil noir

Le petit chien est trop salé
dit la Comtesse à ses corbeaux
Sans pitié sans pitié
nous trouverons son courage
nous trouverons ses faiblesses
demain il sera crevé.


Intéressant

Contrairement à la femme qui s'ennuie
le petit poids se mange
et pourtant
le chien est un imbécile
de même que les informaticiens


La cité

Etendu sur une couche de soie, au milieu d'une caravane de voleurs, je voyage sur les crêtes des dunes de sable brûlant. La palmeraie est à treize jours de désert. Là-bas, parmi les hommes les plus robustes, seule une infime partie des plus habiles trouvent un moyen de franchir l'immense muraille de pierre stratifiée protégeant la cité des privilèges. Les milliers d'autres vivent des ordures des puissants, sombrant peu à peu dans la folie et la violence à portée de fusil du rêve de toute une vie.

*

La chaussure est molle.


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mardi 12 juillet 2005